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« La Réunification des Corées » par Pommerat

Dans un théâtre plongé dans les ténèbres, le bruit des talons résonne sur un sol de bois. Une lumière douce se fraye un chemin pour chasser l’obscurité. Une femme élégamment vêtue de talons hauts et d’un trench ajusté s’approche. C’est l’actrice Saadia Bentaïeb, qui donne le coup d’envoi d’une comédie des mœurs profonde. Les autres personnages sont incarnés par Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu. Cela faisait des années qu’on n’avait pas vu ce collectif d’acteurs talentueux se réunir sur scène. C’est indéniable : Joël Pommerat est de retour avec brio.

Onze ans après la création de « La Réunification des deux Corées » à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, ce célèbre auteur et metteur en scène insuffle de nouveau la vie au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, avec cette œuvre diversifiée qui explore les relations amoureuses et amicales. Cette pièce qui avait suscité en 2013 une certaine perplexité, présente une vingtaine de scènes du quotidien articulées avec soin, d’intensité variable, mais qui dans leur ensemble forment une chaîne passionnante de relations où la banalité et la monstruosité dansent un tango intense, provoquant des éclats de rire ou des frissons d’inquiétude.

Une femme conteste le mariage de sa sœur parce que son futur époux l’a déjà embrassée ; un homme revient pour demander pardon à son ancienne petite amie (« Je n’avais pas pris le temps de faire mes adieux ») ; un éducateur avoue un amour potentiellement répréhensible pour un garçon qu’il avait sous sa responsabilité ; un couple s’invente une progéniture inexistante ; deux amis en arrivent à se battre ; une femme abandonne son partenaire parce que l’amour ne satisfait plus ; une autre femme perd la mémoire et redécouvre chaque jour son mari, etc.
Ondes contradictoires
Ces diverses scènes s’assemblent pour former une symphonie discordante. Loin d’être un obstacle, l’hétérogénéité des situations décrites souligne les ondes paradoxales et incohérentes qui sculptent nos êtres intérieurs. Pommerat ne donne pas une image embellie et apaisante des sentiments. Il en illustre les discontinuités, les paradoxes et l’aspect souvent confus, ainsi que leurs fondements fréquemment dérisoires. Il ne parle pas des sentiments, il les met en scène. Une démarche qui évoque le désordre de vies héroïques ou tragiques, de dialogues drôles ou dramatiques, d’attitudes exemplaires ou douteuses.
L’effet bénéfique du temps qui passe : son texte se relance en 2024 avec une pertinence saisissante. Il est impossible de le séparer de ce qui, en une décennie, a transformé nos vues sur les relations de toutes sortes, introduisant dans nos esprits des idées d’aliénation, de consentement, de patriarcat et d’émancipation. Les mots de Pommerat sont les mêmes qu’autrefois. Nous ne le sommes pas. C’est pourquoi leur écoute ressemble à une gifle, amplifiée par leur déploiement dans une mise en scène totalement repensée. Pour le mieux.

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