Abdeljalil Bouzouggar, le responsable de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap), se réjouit au téléphone de la récente découverte au Maroc. Dans le secteur d’Oued Beht, à 80 km à l’est de Rabat, vient d’être mis à jour un village agricole néolithique d’une taille comparable à la ville de Troie à l’âge du bronze initial. Les chercheurs en archéologie estiment qu’il s’agit du plus ancien et du plus grand complexe dédié à la fabrication et à l’entreposage de marchandises en Afrique, hors ceux déjà recensés dans la vallée du Nil, pour cette époque.
Cinq cents ans durant, du quatrième au début du troisième millénaire avant notre ère, le site a été le lieu d’une concentration importante d’activités et d’investissements humains et matériels sur une surface de neuf à dix hectares, selon les détails fournis par les archéologues marocains, britanniques et italiens qui ont commencé les fouilles en 2021. Ils estiment qu’environ 2 000 personnes ont vraisemblablement vécu sur cette arête de marne et calcaire du plateau vallonné de Zemmour. On y a retrouvé des restes de chèvres, moutons, bovins et porcs, et des marques de découpe suggérant la présence de boucheries.
La preuve de la présence de milliers de haches en pierre polie utilisées pour couper les arbres a été établie depuis les années 1930 dans cette région autrefois boisée. Des meules pour broyer des graines ont également été trouvées. Des indices de chasse et de collecte sont peu fréquents, suggérant une économie basée sur la fabrication d’aliments. La grande découverte est l’existence de fosses. Bien que seule une petite partie du site ait été explorée, l’identification de cinquante silos, probablement employés pour stocker du blé et de l’orge, indique qu’il y en a probablement beaucoup plus. « Il y en a peut-être des centaines en tout », dit l’archéologue Youssef Bokbot, interprétant cela comme un signe d’agriculture intensive.
La culture du silo était également présente à l’époque de l’autre côté de la Méditerranée, de l’ouest de l’Andalousie actuelle à l’Alentejo portugais d’aujourd’hui. La tradition de la poterie peinte, observée au nord du détroit de Gibraltar, est également représentée par une multitude de récipients en céramique retrouvés à Oued Beht. Certains d’entre eux sont peints de manière polychrome et n’ont jamais été trouvés auparavant au Maroc.
Oeuf d’autruche.
Il n’est pas étonnant de constater des similitudes entre le sud de l’Espagne et le nord du Maroc. Les objets en ivoire et en coquille d’autruche présents dans le sud de la péninsule Ibérique témoignent d’anciennes relations avec l’Afrique. Cependant, les fouilles effectuées à Oued Beht modifient notre compréhension de la chronologie de ces interactions, incitant à une révision de l’histoire du commerce entre le nord-ouest de l’Afrique et l’ouest de la Méditerranée. « On pensait que ces échanges ont commencé avec le début de la navigation en haute mer vers 2400 avant J.-C., mais il semble que c’était en réalité 1000 ans plus tôt », déclare Youssef Bokbot, qui évoque également d’éventuels liens avec l’est de la Méditerranée, comme Chypre.
Ces hypothèses et d’autres seront explorées durant la prochaine campagne de fouilles à Oued Beht, prévue en février 2025. L’objectif est de découvrir des tombes, déterminer les frontières du village et examiner la potentielle existence de quartiers spécialisés. Toutefois, de nombreuses questions subsistent. Comment le site a-t-il vu le jour ? Qu’est-ce qui a pris sa place ? Quel environnement entourait le site ? A cinq kilomètres, une mine de sel gemme, l’une des rares connues à l’époque préhistorique en Afrique du Nord, pourrait avoir été exploitée par ses habitants, comme le suggèrent des outils d’extraction retrouvés.
Selon Abdeljalil Bouzouggar, il y aurait encore plusieurs générations de travail à faire sur ce sujet. Cependant, Youssef Bokbot souligne que, malgré notre méconnaissance, il est indéniable que la civilisation de Oued Beht était à un niveau similaire à ce qui était présent en Europe à cette époque. Il désire détruire le mythe selon lequel toute civilisation provenait du nord et souhaite mettre fin à l’oubli de l’Afrique du Nord dans le domaine de la préhistoire tardive.
À la fin de l’article qu’ils ont publié cet été dans le journal « Antiquity », les archéologues qui font des recherches sur le site l’ont clairement mentionné : « L’Afrique a souffert pendant de nombreuses années d’un récit colonial attribuant les progrès locaux supposément inédits à des influences extérieures…. Il est donc essentiel de reconnaître Oued Beht comme une communauté spécifiquement africaine qui a eu un impact significatif sur la formation de la société mondiale » de chaque côté de la Méditerranée.
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