Située en haut d’une colline, cette localité surplombe l’agréable relief agricole de Nigde, une cité anatolienne grise, sans distinctivité ni nuances, encadrée de maisons robustes absorbant les rayons du soleil du profond sud turc. Un modeste panneau municipal, érigé au bord du sentier, pointe vers un « Cimetière pour animaux ». Le paysage est vide, hormis quelques petits tas de terre et des fosses creusées en forme de tranchées. Dans l’une d’elles, un chien est couché avec le cou fracturé, recouvert d’une couche de chaux blanche. Son sang est encore éclatant. On distingue les formes d’autres corps enterrés sous les décombres.
C’est dans ce lieu que deux activistes des droits des animaux, Emine et Melis (les noms ont été changés), ont capturé en vidéo, le 6 août, des employés municipaux déchargeant un demi-douzaine de chiens. Les corps inanimés dans des sacs plastiques, délaissés tôt le matin. Les images diffusées sur les plateformes sociales ont instantanément provoqué un choc. Elles s’ajoutaient aux photos de fosses communes de chiens émanant de divers endroits du pays : Altindag, un district d’Ankara, Edirne, en Thrace, Tokat, dans la région de la mer Noire, Sanliurfa, dans le sud, et Uzunköprü, une petite ville à proximité de la Bulgarie.
Les récentes images ont renforcé les inquiétudes de ceux qui défendent les droits des animaux et qui s’étaient déjà opposés à l’adoption d’une loi controversée le 30 juillet. Cette loi, conçue pour réguler la population de chiens errants, qui est estimée par les autorités à quatre millions dans tout le pays, a été soutenue par la coalition islamo-nationaliste au pouvoir, conduit par le président Recep Tayyip Erdogan. Les mairies sont désormais obligées de recueillir et d’héberger les chiens errants dans des refuges, où ils seront ensuite vaccinés et stérilisés avant d’être proposés à l’adoption. La loi prévoit également l’euthanasie pour les chiens considérés comme « malades » ou « agressifs », bien que les modalités de cette euthanasie ne soient pas encore définies.
Les opposants à la loi voient en elle une sorte de « permis de tuer », selon les mots de l’auteur et poète Ahmet Ümit. Comme le soulignait le vétérinaire Turkan Ceylan le jour du vote de la loi, l’absence de places suffisantes dans les abris augmente le risque d’abattage. « Nous, qui défendons les droits des animaux », a-t-il dit, « savons bien que cela signifie la mort ». La Turquie ne compte en tout que 322 refuges, pouvant accueillir au total à peine 105 000 chiens. Dans les villes, en particulier dans les banlieues des grands centres urbains et des villes de taille moyenne, les chiens errants font partie de la vie quotidienne, voire de l’imaginaire collectif. Ils étaient déjà mentionnés dans les premiers guides touristiques du XIXe siècle, soit comme une nuisance, soit comme une curiosité.
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