Un retournement de situation a suivi une campagne électorale terne. Les gestionnaires de campagne des trois candidats à la présidence en Algérie, y compris celui du gagnant, ont manifesté leur désaccord le dimanche 8 septembre, avant minuit, en émettant une déclaration commune sur les « incohérences majeures » dans les résultats préliminaires du vote présidentiel du 7 septembre, publiés par l’Autorité Nationale Indépendante des Élections (ANIE). Selon les données fournies, Abdelmadjid Tebboune a remporté 5 329 253 voix, soit 94,65% des votes. Abdelaali Hassani Cherif du Mouvement de la société pour la paix (MSP), parti islamiste, a été crédité de 178 797 voix (3,17%) et Mohamed Aouchiche du Front des forces socialistes a reçu 122 146 votes (2,16%).
Cependant, le taux d’engagement électoral le plus faible de l’histoire a poussé Mohamed Charfi, le président de l’ANIE, à ne pas totalement respecter la transparence. Il a refusé d’annoncer le taux de participation, qui aurait été facile à estimer en comparant le nombre total de votes, 5 630 196, au nombre total d’inscrits sur les listes électorales, 24 351 551. De nombreux internautes ont fait le calcul eux-mêmes, obtenant un taux de participation qui varie entre 23 et 25%.
Le 7 septembre, un chiffre trompeur avait été présenté par Mohamed Charfi sur un «taux de participation moyen» de 48,03%. Ce chiffre avait été calculé en prenant les taux de participation des wilayas (collectivités) et en les divisant par 58 (leur nombre total), une méthode qui a été rapidement critiquée. Abderrazak Makri, l’ancien dirigeant du MSP, avait fustigé dans une publication sur Facebook, depuis supprimée, une «inflation sans précédent du taux de participation dans l’histoire des élections algériennes». Il a ajouté que « le président n’avait pas besoin de gonfler ce taux car il avait déjà gagné. Cette manipulation retire toute crédibilité au vote. »
Le 8 septembre, à la surprise générale, les responsables de campagne des trois candidats ont condamné dans un communiqué conjoint «des inconsistances et contradictions dans les résultats annoncés», faisant savoir qu’ils avaient l’intention «d’informer le public de l’incertitude et des contradictions dans les chiffres de participation». Le communiqué mettait également en évidence une «erreur dans la déclaration des pourcentages pour chaque candidat» et des «informations contradictoires avec les procès-verbaux du dépouillement des votes» remises à l’autorité électorale par les commissions électorales locales.
Ce fut un véritable coup dur pour le président réélu.
Bien que l’ANIE soit incontestablement remplie de contradictions, son président Mohamed Charfi est ici victime des trois candidats, qui sont maintenant liés à l’élection présidentielle ayant le plus faible taux de participation historique. Les candidatures de Abdelmadjid Tebboune, le président récemment réélu, de Youcef Aouchiche du FFS et d’Abdelaali Hassani Cherif du MSP, n’ont pas réussi à contrer l’abstention massive des Algériens. Leurs propositions politiques sont bien loin des revendications exprimées par les citoyens lors des manifestations populaires du Hirak. Cette déconnexion était l’enjeu principal du vote.
Tout en marquant un certain déphasage, Mohamed Charfi a néanmoins exprimé sa satisfaction face à l’engagement citoyen lors de ces élections, affirmant que « le peuple algérien, dans toute sa diversité, a démontré une solide maturité électorale ». En vérité, cet acte électoral représente une déception majeure pour le président Abdelmadjid Tebboune. Le taux de participation semble nettement inférieur à celui enregistré en 2019, qui était de 39,88%.
Dans une analyse publiée sur sa page Facebook, Nouri Driss, enseignant en sociologie politique, déclare que les institutions et les moyens dont dispose actuellement le gouvernement ne lui permettent pas de comprendre la population. Qu’il est en décalage avec celle-ci et vice versa. Les structures sur lesquelles il repose ne lui fournissent pas une vision claire de la réalité.
Lyas Hallas, qui dirige le journal numérique Twala, a également indiqué que la réélection du président Tebboune a été décevante, compte tenu de la faible participation. Il croit que rien ne peut être gagné en embellissant les chiffres. Il suggère que les projets de Tebboune (s’il en a) ne sont pas accueillis favorablement par le peuple. Il pense que Tebboune ne pourra ni entreprendre de réformes ni mobiliser des efforts. Il craint que le deuxième mandat de Tebboune ne soit caractérisé par la répression des détracteurs, les inaugurantions inachevées de l’ère Bouteflika, provoquant ainsi une crise sociale et une instabilité telle que le pays passerait dans une période de turbulences.
Un ancien journaliste qui demande l’anonymat souligne que les Algériens, dont la voix a été réprimée depuis la fin du mouvement de protestation Hirak en raison de la crise du Covid-19 en mars 2020, confirment par leur taux d’abstention historiquement élevé qu’ils attendent davantage que la superficialité de la politique offerte par le régime. Selon lui, le FFS et le MSP sont les grands perdants de ces élections, mais le président Tebboune a perdu encore plus. Il pense que Tebboune a moins de liberté de mouvement avec l’armée qu’auparavant et qu’il ne pourra pas égaler Bouteflika.
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