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« Sécheresse historique aux Pyrénées-Orientales visualisée »

L’absence presque totale de pluie depuis mai 2022. La plaine du Roussillon, située à l’est des Pyrénées-Orientales, n’a vu aucune pluie significative au cours de cette période, selon le président du Syndicat mixte de protection et de gestion des nappes de la plaine du Roussillon, Nicolas Garcia. La gravité de la situation est telle qu’en février, même au cœur de l’hiver, cinq municipalités avaient déjà une pénurie d’eau potable, tandis que quarante autres étaient sous observation. Le département le plus au sud de la France est habitué aux cycles de sécheresse, mais la sècheresse qui persiste depuis deux ans est sans précédent.

Selon Christine Berne, climatologue à Météo-France, une baisse marquée des précipitations est observée dans les Pyrénées-Orientales depuis deux ans, avec vingt-deux mois de déficience sur la dernière année et seulement cinq mois de pluviométrie normale ou supérieure. Certains mois ont même enregistré un déficit de 60% par rapport à la moyenne des précipitations de 1991 à 2020. Depuis 2022, cette fâcheuse tendance est apparente, alliée à des températures qui ont régulièrement été de deux à quatre degrés supérieures à la normale. Récemment, le beau temps est devenu monnaie courante tandis que la pluie est une rareté.

La baisse des précipitations est surtout notable à l’est des Pyrénées-Orientales, où réside la majorité de la population. Entre avril 2023 et mars 2024, le cumul de pluie y a été inférieur de 60% à 70% à la moyenne. Au contraire, à l’ouest du département, dû à sa topographie montagneuse, la neige et des pluies plus généreuses ont permis d’amoindrir ce déficit.

La sécheresse n’est pas un phénomène inédit pour le département, ayant déjà connu des périodes critiques en 1973 et 1983, suivies ensuite par trois années de déficit. La période de 2006 à 2009 a également été significativement plus sèche que la normale. Cependant, aucune de ces sécheresses ne peut rivaliser avec l’ampleur de celle que nous vivons actuellement.

Nous avons évalué les accumulations de précipitations durant la saison de recharge, qui s’étend de septembre à mars. C’est à cette époque de l’année que les précipitations et les chutes de neige sont les plus importantes, permettant la réhydratation des sols, la recharge des nappes phréatiques et la revitalisation des cours d’eau.

L’analyse des données de Météo-France révèle que les deux dernières saisons ont connu les plus faibles accumulations depuis 1959, et de façon conséquente. Ces saisons sont les seules à avoir enregistré une accumulation inférieure à 300 millimètres de précipitations, sauf pour la saison 2007-2008, alors que la normale est de 507 mm.

Malgré les précipitations importantes enregistrées depuis novembre 2023 sur tout le territoire français, la situation reste inquiétante. Les Pyrénées-Orientales sont presque le seul département à n’avoir pas bénéficié de ces précipitations. Ce phénomène s’explique par sa géographie : le département reçoit peu de précipitations de l’ouest, celles-ci étant empêchées par le relief en raison de « l’effet de foehn », synonyme d’un ciel clair et d’un vent chaud et sec selon Météo-France.

En effet, c’est le système océanique provenant de l’Atlantique qui est responsable des pluies qui ont affecté la France depuis l’automne. Comme l’a confirmé Christine Berne, les précipitations qui ont touché le sud de la France viennent soit du sud, soit du nord-ouest. Toutefois, les Pyrénées-Orientales ne profitent pas de celles-ci. Pour bénéficier de ces pluies, il faut qu’elles viennent de l’est. Le département reçoit par contre des pluies lors de dépressions formées en Méditerranée, notamment près des Baléares. Ces dépressions remontent vers le Roussillon et engendrent généralement d’importantes accumulations de précipitations sur les Pyrénées-Orientales. Cependant, ces dépressions méditerranéennes font défaut depuis le printemps 2022, ce qui explique que le département n’ait presque plus connu de périodes d’humidité significatives.

L’un des effets apparents et immédiats d’un manque de « recharge » en hiver est l’état des sols, comme le relève l’indice d’humidité des sols de Météo-France. Cet indice aide à estimer, dans les couches superficielles du sol (moins de 2 mètres de profondeur), la quantité d’eau disponible pour la végétation après l’écoulement de l’eau par gravité. Un indice égal à 1 signifie que la végétation peut utiliser toute l’eau présente dans le sol. En revanche, lorsqu’il est proche de zéro, les plantes ne peuvent plus puiser d’eau. Un indice supérieur à un indique une saturation du sol en eau, qui ne s’est pas encore écoulée par gravité.

Depuis mai 2022, des niveaux d’humidité du sol alarmants ont été signalés dans l’ensemble du département. Cette tendance s’est d’abord manifestée par des niveaux de sécheresse sans précédent pendant l’été 2022. Même après une partie de 2023 et pendant l’hiver 2024, ces niveaux ont atteint des points traditionnellement associés aux mois de juillet et août.

La carte illustrant l’inégalité de l’humidité du sol par rapport à la normale du 10 avril représente des niveaux significativement inférieurs à la moyenne pour la majeure partie du département. Cependant, les zones montagneuses, qui ont eu la chance de recevoir des chutes de neige pendant l’hiver, montrent de plus petites variations. En revanche, la vallée de la Têt, en particulier la région de Prades, présente un déficit alarmant.

Cette aridité exceptionnelle amène une insuffisance d’eau pour favoriser la croissance de la végétation au printemps, ce qui affecte largement les cultures en général, surtout la viticulture et l’arboriculture. « Nous sommes plongés depuis deux ans dans une situation critique, affichant des rendements faibles dans la plupart des domaines, mais particulièrement dans les cultures qui ne sont pas irriguées », confiait en décembre 2023 à Le Monde Bruno Vila, un arboriculteur et représentant local de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. On note aussi un état critique des nappes phréatiques.

Selon le Bureau de recherches géologiques et minières, il reste très incertain qu’une reconstitution durable des réserves d’eau souterraines de Roussillon puisse être possible avant le printemps de 2024. Cette prévision s’est avérée correcte à la fin de l’hiver 2024, une période généralement favorable à la recharge des nappes phréatiques. Hichem Tachrift, le directeur du Syndicat mixte pour la protection et la gestion des eaux souterrains dans le Roussillon, a noté que la situation actuelle est sans précédent.

Le bassin de l’Agly est l’une des régions les plus affectées. Son réseau de piézomètres, des appareils de mesure des niveaux d’eau souterraine, a atteint des niveaux historiquement bas depuis plusieurs mois, comme à Saint-Hippolyte et Salses-le-Château. Ceci est dû à un manque de recharge, qui a entraîné une baisse continue du niveau d’eau.

De l’autre côté, le bassin du Réart présente une situation légèrement différente. Comme l’explique Tachrift, même en conditions normales, il y a une tendance à long terme à la baisse due à un déséquilibre entre les prélèvements d’eau et la recharge de la nappe. Cette situation est aggravée par la sécheresse, en particulier à Ponteilla, où le niveau d’eau souterraine enregistré en mars est le plus bas depuis le début des relevés en 2002.

Dans l’ensemble, les piézomètres du département indiquent des niveaux inférieurs à la normale pour cette période de l’année. La sécheresse, exacerbée par le réchauffement climatique, continue de poser un grand défi.

L’augmentation de la température a significativement intensifié l’impact de la sécheresse sur les sociétés humaines et l’écologie, bien que l’association directe entre cette sécheresse et le changement climatique n’ait pas été confirmée. Christine Berne précise que la vraie modification est en fait l’augmentation de la chaleur enregistrée lors des derniers étés comme ceux de 2022 et 2023, qui ont eu tendance à empirer la situation.

Depuis le début de l’année 2022, environ 75% des températures enregistrées localement ont surpassé les températures saisonnières normales. Les jours où la température maximale dépasse les 25 °C sont de plus en plus fréquents et arrivent de plus en plus tôt dans l’année. À titre d’exemple, le thermomètre a enregistré une température de 26,1 °C à Céret en plein hiver, le 5 février 2024. Céret avait déjà enregistré quatre autres épisodes de températures élevées cette année-là. Ces températures sont sans précédent depuis 1933, bien que les conditions de mesure étaient sans doute différentes à l’époque, comme l’indique Météo-France.

Les statistiques de Météo-France pour les Pyrénées-Orientales indiquent des écarts de température considérables depuis 2022. L’écart enregistré en 2023 a été calculé par rapport aux températures normales enregistrées entre 1991 et 2020.

L’augmentation des températures contribue à la fois à une évaporation rapide de l’eau en mouvement et à une prolongation de la saison de croissance des plantes, diminuant ainsi la quantité de précipitations filtrées dans les aquifères et compliquant leur renouvellement. Christine Berne souligne que les températures élevées observées ces dernières années ont un impact significatif sur le manque de neige, affectant profondément les débits des rivières et les réserves des barrages.

Dans des conditions normales de neige, sans variations de température, les montagnes enneigées fondant suite à leur accumulation hivernale, fournissent une source d’eau continue pour les rivières pendant plusieurs mois. Cependant, la faible chute de neige ces dernières années, couplée à des températures de plus en plus élevées, accélère la fonte des neiges, réduisant considérablement le débit des rivières et des fleuves qui irriguent le territoire.

Des images satellites prises en mars 2024 confirment la petite quantité de neige dans le département par rapport à celle du même mois six ans auparavant.

Cela ne veut pas dire que le changement climatique n’a pas d’impact sur la diminution des précipitations; en fait, c’est tout le contraire. Les données de Météo-France indiquent « une légère diminution des précipitations de l’ordre de 10% » au cours des cinquante dernières années, « et surtout une diminution en hiver avec une prolongation de la saison sèche ». Ces résultats sont en accord avec les dernières informations scientifiques compilées dans le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

D’après les informations fournies par Météo-France, les données climatiques indiquent une augmentation continue des températures et une diminution des précipitations globales dans la région méditerranéenne. De plus, il y a une augmentation de l’intensité des événements de pluie intense. Par conséquent, le climat de Perpignan se rapproche actuellement de celui de Valence (Espagne) avant le réchauffement planétaire. Ce climat est typiquement chaud et plus sec, semi-aride, avec des averses qui peuvent être extrêmement violentes, surtout en automne.

Pour pallier au manque structurel d’eau du département, le conseil régional d’Occitanie a approuvé le 28 mars l’initiation d’une étude sur l’extension de l’Aqua Domitia jusqu’aux Pyrénées-Orientales. Depuis 2016, cette structure de 140 kilomètres puise une partie de l’eau du Rhône pour la transporter dans l’Aude, cependant, les travaux pourraient durer près de dix ans. En attendant, il faudra gérer une situation qui mettra du temps à se rétablir, à condition que les années à venir bénéficient régulièrement de précipitations abondantes, ce qui reste très incertain.

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