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« Constitution sur mesure pour Déby »

Le dimanche 24 mars, le Président du Conseil constitutionnel a annoncé officiellement la liste des candidats à l’élection présidentielle tchadienne, qui aura lieu le 6 mai, en frappant son pupitre d’un coup de maillet. Parmi les dix candidats présélectionnés, Mahamat Idriss Déby, le président de la transition, semble être en pole position pour remporter l’élection. Il avait été propulsé au pouvoir par un groupe de généraux suite au décès de son père il y a trois ans.

Deby peut désormais suivre les traces de son père, qui a régné sur le Tchad sans rival pendant plus de trente ans, à sa guise, grâce à diverses modifications discrètement apportées à la nouvelle constitution. Ces modifications sont passées inaperçues lors du référendum pour l’adoption de la nouvelle loi le 17 décembre 2023, qui s’est déroulé dans un contexte de vif débat et de contestations.

Selon Brice Mbaïmon, un opposant membre du Conseil national de transition (CNT), qui tient lieu de Parlement par intérim, le débat à l’époque était concentré sur la forme de l’État, qu’elle soit unitaire ou fédérale. Il ne s’était pas rendu compte de l’importance de ce « détail où le diable se cachait ».

Ce n’est que quelques mois plus tard, lorsqu’il préparait son dossier de candidature pour l’élection présidentielle en étudiant le projet de loi du code électoral qu’il a remarqué l’article 145 : « le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct. Il peut être réélu une fois pour un mandat consécutif.

« Avec d’autres mots, cela signifie un pouvoir à vie! » a-t-il dit.

Le député a fait une découverte surprenante concernant la terminologie « consécutif ». Il se rappelle que l’intention originale du texte était de limiter la réélection du président à une seule occasion pour empêcher un règne indéfini. À sa grande surprise, il a découvert que non seulement le terme « consécutif » était bien inclus dans la constitution, mais aussi la clause de protection qui empêchait toute modification constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel à l’article 282 avait été supprimée. « En somme, le pouvoir pour la vie! », s’exclame le député de l’opposition.

Pour comprendre d’où vient cette modification, il fouille ses dossiers et remonte aux résolutions de la grande conférence qui a établi les principes de base de la transition en 2022, malgré le boycott d’une partie de l’opposition et de la société civile. En effet, le texte stipulait : « Un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois sans possibilité de modification constitutionnelle pour le président de la République. »

Selon sa recherche, un comité ad hoc avait rédigé une première ébauche de la nouvelle loi fondamentale où le président pouvait être réélu une seule fois, conformément à la résolution. « Il n’y avait aucun doute à ce sujet », déclarent plusieurs membres du comité. « Cependant, la version finale enfreint les recommandations du dialogue », constate amèrement Nobo N’Djibo, conseiller de l’opposition. D’autres conseillers soupçonnent un « tour de magie » qui se serait produit le jour du vote au CNT.

Ces allégations sont fermement démenties par le président de la commission des lois, Jacques Laouhingamaye Dingaomaibé. « Les deux versions sont identiques sur ce point », affirme-t-il. Il déclare que le texte est le résultat d’un travail scientifique et qu’il ne devrait pas être à l’origine d’une controverse inutile, et encore moins plus de six mois après son adoption.

Selon une source anonyme, la Constitution a été altérée en faveur des dirigeants actuels lorsqu’elle a été présentée au conseil des ministres à travers un processus comprenant le comité et le CNT. Mahamat Haliki Choua, qui était alors le secrétaire général du gouvernement chargé de transmettre le texte, nie tout souvenir de cet événement. Néanmoins, le texte a été adopté par référendum et est immunisé contre toute contestation.

Nombreux sont ceux qui regrettent rétrospectivement de ne pas avoir examiné de plus près le texte pour lequel ils ont voté. Nobo N’Djibo fait remarquer que les efforts visant à apporter des amendements pour améliorer les projets de loi sont systématiquement ignorés, ce qui a pour effet de démobiliser les intervenants et de donner l’impression au public que le CNT n’est qu’un organe de formalités.

Le droit constitutionnel et la science politique, Eugène Ngartebaye, souligne que la Constitution est régulièrement manipulée selone les besoins et les avantages des dirigeants en place, et ce, tant au Tchad qu’ailleurs en Afrique. Il note que le président Idriss Déby a déjà modifié la Constitution à plusieurs reprises en 2005, 2008 et 2020, et qu’il avait même été réélu pour un sixième mandat peu de temps avant son décès. Ngartebaye déclare avec regret : « Vingt ans après, nous nous retrouvons au point de départ et nos espoirs suscités par la transition sont désormais réduits à néant ».

Le 2 mars 2024, malgré sa déclaration initiale de rétablir le pouvoir civil à la fin de la transition, Mahamat Idriss Déby a été désigné comme candidat par le Mouvement Patriotique du Salut. Ce parti a été instauré par son père en 1990 et n’a pas manqué de remporter une élection depuis lors. De nos jours, le Conseil constitutionnel est dirigé par l’ex-porte-parole du parti, Jean-Bernard Padaré, dont les membres dominent largement l’Agence nationale de gestion des élections.

Pour la présidentielle, le jeune général de 39 ans se mesurera à son premier ministre, Succès Masra, l’ancien dissident. Ce dernier est soupçonné par ses anciens collègues de lutte d’avoir conclu un accord avec le gouvernement pour permettre au président en exercice de gagner. Il sera également confronté à l’ancien premier ministre Albert Pahimi Padacké, qui tente encore une fois sa chance, pour la quatrième fois.

Cependant, cette élection présidentielle n’intéresse guère à N’Djamena, et nombreux sont les Tchadiens qui pensent que le résultat de l’élection est préétabli. Face à cette situation, la plateforme civile Wakit Tama a appelé au boycott de l’élection présidentielle pour « remettre en cause la légitimité de cette mascarade », selon les propos de son porte-parole Soumaïne Adoum. Brice Mbaïmon, par contre, a choisi d’y participer malgré tout. « Je ne suis pas un défaitiste, dit-il. Tant que les dirigeants du régime continueront leur système prédateur, nous allons les défier par notre présence. »

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